Contribution à une réflexion sur
la liberté artistique d'appropriation
 
Christiane Carlut FR
2éme partie
   
 


Les cadres juridiques


Les cadres juridiques qui régissent les rapports de l'auteur à son œuvre ont organisé la protection de l'œuvre ou celle de l'auteur contre ce droit historique d'appropriation de manières fort différentes :
- le copyright constitue l'organisation du droit de l'œuvre et non celui de l'auteur. Au nom du droit de prop riété et de libre circulation des échanges commerciaux7, propres à la société capitaliste et libérale, il assimile l'œuvre à une marchandise - lui retirant, du coup, sa qualité d'œuvre de l'esprit -, et l'auteur à un marchand - la propriété intellectuelle est ici infiniment aliénable, et peut être cédée, par l'auteur, en même temps que son monopole d'exploitation. C'est un droit exclusivement économique, qui organise "le droit de l'œuvre, en ce sens que l'auteur, en tant que tel, en est donc radicalement exclu "8. C'est un "dispositif protecteur des investisseurs "9 qui disposent de toutes facilités pour protéger les objets de leurs investissements des appropriations éventuelles (qu'elles soient artistiques ou commerciales), et ce, au détriment de l'auteur.

- le droit d'auteur organise, lui, originellement, le droit de l'auteur et non celui de l'œuvre, et témoigne, du moins dans son fondement, "d'une inadéquation du concept de propriété avec l'œuvre de l'esprit "10. Contrairement au copyright où l'œuvre est considérée comme bien matériel, et qui reflète une société dont les valeurs exclusivement commerciales ne semblent protéger que le droit des investisseurs, le droit d'auteur attribue à l'auteur la qualité de personne et à l'œuvre celle de bien intellectuel, en tant qu'elle est une émanation de la "personnalité" de son auteur. Le droit moral pose l'indivisibilité de l'auteur et de l'œuvre : "Les œuvres sont l'industrie intellectuelle elle-même, et non pas les produits de cette industrie "11. L'auteur trouve dans le droit d'auteur la protection qui lui est déniée dans le copyright, et retrouve ses prérogatives en matière de paternité et de protection.

- petite modification discrète du droit d'auteur : les modifications récentes du cadre juridique du droit d'auteur, et particulièrement l'élargissement des "droits voisins" dans le sens de la protection juridique renforcée des producteurs (des investisseurs), caractérisent "l'irruption du copyright au sein même du droit d'auteur "12 par la logique capitaliste dont elle fait preuve de protection des biens investis. Les droits voisins confèrent, par exemple, aux producteurs "le droit d'autoriser ou d'interdire la diffusion des œuvres qu'ils ont financées ", ce qui constituait pourtant l'une des prérogatives de l'auteur. "On ne saurait mieux dire qu'en l'occurrence, le droit d'auteur devient le protecteur des investisseurs, et que les créateurs sont d'autant plus dépouillés de leurs prérogatives morales et pécuniaires "13. Le droit d'auteur s'étiole ainsi sous le joug des flux commerciaux, les législateurs français cédant aux pressions internationales des développements juridiques imposés par les marchés14. Le danger que représente la libéralisation du droit d'auteur français mène les auteurs, sous l'influence intéressée des sociétés de protection de leurs droits, à durcir leurs revendications propriétaires, engageant une lutte plus acharnée encore contre les appropriateurs, sans distinction de nature.


- le copyleft associe enfin la protection de l'auteur à l'intérêt public, dans la lignée traditionnelle et légitime d'appropriation par les auteurs des auteurs eux-mêmes. Inauguré par Richard Stallman, le copyleft propose un partage mutuel des connaissances et des inventions informatiques, en tant que "propriété collective de l'humanité "15. La Licence Art Libre, initiée par Antoine Moreau et le mouvement Copyleft Attitude, est adaptée de ce principe, et élargie au champ artistique. Elle confère à un artiste originel la possibilité d'accorder à autrui "un droit à la copie, à la
diffusion et à la transformation de l'œuvre
"16. La Licence Art Libre revendiquée déjà par nombre d'artistes soucieux de la dimension collective du champ artistique, fonde son contrat sur la liberté d'appropriation d'une œuvre, accordée par son auteur "originel" à tous les contributeurs qui voudront bien le "déplumer", comme le souhaitait Montaigne. La pratique du processus permettra, à terme, d'élargir le cercle des "initiés", et donc la diffusion et l'efficacité du principe. Une question reste encore à poser, à partir de l'éclairage donné par Barthes dans "La mort de l'auteur", qui est celle de la légitimité de cette origine, qui rend un artiste "originel" et une œuvre "originale". Cette question sera centrale dans le cadre de la réflexion proposée par ce projet.

 
7. la cinquième liberté améri-
caine décrite par Chomsky
dans "Idéologie et pouvoir" ?
8, 9 Bernard Edelman : "La
propriété littéraire et artistique".
10. ibid
11. ibid
12.ibid
13.ibid
14. "Lorsqu'on confère aux pro-
ducteurs le droit d'autoriser
ou d'interdire la diffusion des
œuvres qu'ils ont financées,
on ôte aux auteurs ce qui fai-
sait leur force, c'est-à-dire leur
supériorité juridique (...) A é-
galité juridique, la puissance
économique l'emporte toujours".
ibid.
15.Richard Stallman, "Le copyleft
et son contexte", actes du col-
loque "Copyright/Copywrong",
Nantes février 2000
16. Licence Art Libre
 

 


==> Contribution... 3éme partie: La notion d'intérêt public